Revue La Phalère, Numéro 1
Éditorial
La Société d’histoire des ordres et décorations présente le premier numéro de sa revue européenne La Phalère, entièrement réservée à la publication des actes du symposium international « Napoléon et la Légion d’honneur », qui s’est déroulé au Palais du Louvre, dans Г auditorium Rohan de l’École du Louvre, les 23 et 24 octobre 1998.
Pourquoi La Phalère ?
Les Romains connaissaient sous ce nom une des nombreuses distinctions absolument comparables à nos décorations, composée d’un petit disque de métal précieux, souvent ouvragé, suspendu à une lanière de cuir que le fantassin méritant portait sur sa poitrine. Ce signe distinctif était décerné par les généraux en chef aux légionnaires comme aux centurions.
La cohorte — dixième partie d’une légion — pouvait avoir une ou plusieurs phalères fixées au haut de la hampe de son Aigle, et ce en récompense de la valeur de son unité au combat.
Dans la cavalerie, où l’homme et sa monture ne faisaient qu’un, la tradition voulait que les phalères gagnées au cours des campagnes de guerre fissent parie de harnachement. Dans l’histoire romaine, il est mainte fois question de « phalères de chevaux » que les vainqueurs considéraient comme de véritables trophés de guerre. Sous l’influence de Rome, et même après la chute de l’Empire, les Gaulois continuèrent la tradition de leur vainqueur en décernant des phalères à titre civil et à titre militaire aux plus méritants d’entre eux.
Avec son centre pointé et sa surface circulaire gravée de cercles concentriques marquant des degrés d’être, des hiérarchies créées — l’ensemble bien souvent ouvragé de figures géométriques ou de profils humains divinisés — ce disque phalérique participe au symbolisme du cercle, et donc attribue une perfection dans un certain ordre à celui qui en est porteur: la vigueur des athlètes, l’héroïsme au combat des guerriers, la sagesse des civils, la vélocité du cheval maîtrisée par son cavalier, etc. Autant d’histoire et de symbolique ne pouvaient que nous inciter à donner pour titre à notre revue celui de La Phalère.
Quant au logo que nous avons choisi pour signe distinctive de la Société d’histoire des ordres et décorations, son disque d’or, doublement cerclé en bordure et pointé d’un centre également cerclé « en cible » par le graphisme même du schème de « sable », est une allégorie. Que l’alchimie de nos transmutations soit symbolisée par cet antique schème des chercheurs… Si l’Antiquité récompensait la Vertu, l’Ancien Régime sut parfaitement jouer ressort de l’Honneur et parfois de la vanité dans la distribution des somptueux bijoux qui marquaient l’appartenance aux ordres anciens ; et ces derniers contribuèrent largement à la stabilité exemplaire de la Monarchie. Quelques instants de l’Histoire ont pu faire croire à la suffisance, à 1 inutilité ou au danger de telles marques distinctives. Ainsi la Révolution française, faisant table rase des codes établis de la Vieille Europe, les révolutions bolchévique et maoïste, supprimant un temps les ordres, les décorations et même jusqu’à la matérialité des grades militaires par souci d’égalitarisme absolu.
Mais de nouvelles normes s’établirent bientôt, à l’instar des anciennes, car l’efficacité sociale de la mise en œuvre d’un système de classement, au champ d’honneur ou dans l’arène économique, s’imposa rapidement. Ainsi, l’Union soviétique instaura-t-elle une riche arborescence d’ordres et de décorations qui, en couvrant la poitrine des maréchaux, protégeait également la cohésion de l’ex-empire russe. De la Rome antique au Moscou des Soviets, les principes du pouvoir demeurent, car les appétits humains sont éternels, au contraire des empires qu’ils édifient.
L’étude de ces ordres et décorations à travers le champ de l’Histoire européenne révèle aux yeux du chercheur d’immenses espaces de curiosité, de la joaillerie à l’héraldique, du militaire à l’économique, du social au politique. C’est l’ambition de notre société savante que de contribuer à l’exploration de ces espaces. Un premier pas nous conduit dans cet empire qui rassemble en lui tous les autres : l’Empire français, fondé par un homme issu de la Révolution et prétendant à la Monarchie, servi avec zèle par de vieilles lignées d’Ancien Régime, aux couleurs de la République bourgeoise.
Il nous permet d approcher un ordre qui symbolise tous les autres et les résume : la Légion d’honneur. D’autres études suivront, sur le Saint Empire, les empires austro-hongrois et allemands, la Russie, la Pologne aussi, mais il semblait naturel pour des disciples du Professeur Jean Tulard, qui forment le contingent fondateur de notre société savante, d’ouvrir le ban par cet ordre.
Puissent ces travaux servir la connaissance que l’Europe se doit à elle-même pour continuer d’exister.
Éric Ledru
président